Une fois de plus, c'est le frère indigne et aimé, si prometteur, qui sans doute a inspiré une partie des portraits d'hommes pervertis, alcooliques et violents que comporte ce roman. C'est un roman épistolaire, qui contient en son milieu le journal intime de l'héroïne, censé être envoyé par le narrateur au destinataire de ses lettres (dont on ne connaît le statut qu'à la toute dernière page).
Helen Graham vient d'arriver, incognito, dans un gros bourg anglais. Aussitôt cela cancane, cela raconte, cela imagine les histoires les plus sombres et les plus malveillantes. Qui est l'inconnue ? Est-elle vraiment veuve, comme ses vêtements le suggèrent ? Gilbert, qui s'est épris d'elle (et qui est le narrateur de toute l'histoire) le voudrait bien. Le journal intime de la belle nous donne le fin mot de l'histoire.
Sans tout dévoiler du suspense, on peut dire qu'elle a fui les mauvais traitements de son mari. Il ne la bat pas, mais on dirait en langage moderne qu'il s'agit de "harcèlement moral". Or dans l'Angleterre victorienne, cela ne se fait pas du tout de se rebeller contre l'autorité du mâle. Il faut souffrir et se taire. C'est en cela que ce roman a été qualifié à sa sortie de "féministe". Mais Il ne peut l'être que si Helen Graham est irréprochable dans sa morale et dans sa croyance en Dieu, et si elle agit pour sauver son jeune fils de son père. Sinon, elle serait qualifiée de totalement pervertie. A cette époque pas si lointaine, donc, on devait encore avoir recours à la religion (et, ici, à la maternité) pour parler du sort des femmes. Cela rappelle un peu la Princesse de Clèves…
Côté lecture aussi, une impression mitigée. J'ai été happée par ce récit très habilement mené, comme si j'avalais un roman policier (et pourtant j'avais été à la dernière page lire la fin, ce n'était donc pas le suspense qui me tenait). Et en même temps une vague irritation me taraudait, devant des adverbes vraiment trop répétitifs ("gravement", "gentiment"), des coquilles un peu partout (mais à cela évidemment Anne Brontë ne peut rien), un côté "je crois, je suis pure, donc je peux m'affranchir"… Quoi qu'il en soit, la 3e des sœurs Brontë, et la moins connue / reconnue, avait tout de même un beau roman à nous livrer, où il manque peut-être l'ironie que j'aime tant chez Jane Austen par exemple.