Vous vous demandez peut-être ce que vient faire ce post sur un site consacré à la littérature jeunesse.
Avant d'être auteure, je suis d'abord une citoyenne.
Ce qui s'est passé hier m'a choquée, profondément, comme cela a choqué des millions d'entre nous. J'en ai pleuré.
Tout d'abord je voudrais dire que la présentation des victimes par les médias de l'audiovisuel me révolte. Il y aurait d'un côté les gens célèbres, qui méritent d'être nommés, et les autres, les "anonymes", comme disent beaucoup de journalistes. Non. Nous avons tous un nom. Toutes ces personnes mortes hier sous les balles de criminels incapables de se placer sur le plan symbolique sont sur cette liste (qui, j'espère, ne s'allongera pas des blessés entre encore la vie et la mort) :
FRANCK
AHMED
MUSTAPHA
HONORE
FREDERIC
BERNARD MARIS
CABU
TIGNOUS
WOLINSKY
MICHEL RENAUD
CHARB
ELSA CAYAT
Ensuite, ceci :
En France, cette démocratie laïque qui n'est évidemment pas tout le temps ni pour tout le monde un paradis, nous avons des libertés très précieuses: liberté de pensée, liberté de culte, liberté aussi d'être athée ou agnostique et de marcher dans la rue sans craindre d'être arrêté pour cela. Ici cela nous semble tellement normal… Mais bien des pays dans le monde ne garantissent pas ce droit tout simple de ne pas croire en dieu. Ce sont ces droits (celui de croire, celui de ne pas croire, en le dieu qu'on veut, pourvu qu'on respecte la foi ou la non foi des autres) que nous voulons préserver, il me semble, par ces rassemblements d'hier soir et par ceux qui vont sans doute suivre. Et le droit, connexe, de rire, de prendre de la distance, de créer. La liberté de la presse, quoi. Ne nous laissons pas diviser. C'est un des grands dangers qui guette notre pays, et qui me fait très peur.
Cela m'amène à une autre considération : celle de notre responsabilité, à nous qui écrivons pour la jeunesse. Et notamment transmettre des valeurs humanistes, que ce soit par la fiction ou le documentaire. C'est ce que je m'attache à faire depuis 18 ans. "Les religions du monde" paru à l'automne 2014 aux éditions Fleurus est la preuve de ce que j'essaie de faire. Pour moi, écrire à propos des religions c'est aussi écrire sur l'athéisme, dire qu'on a le droit de ne pas croire, mais que cette posture philosophique reste très dangereuse dans bien des pays. C'est dire aussi que nous gagnons tous à mieux connaître les croyances, et les incroyances, des uns et des autres, et à soigneusement distinguer la foi des dangers de tous les -ismes. La moitié de ma famille a été décimée lors de la Seconde Guerre mondiale, parce que c'étaient des Juifs. Ma posture ne "vient" pas de ce fait, mais elle n'y est pas étrangère non plus.
Il y a longtemps, une auteure-illustrateure que je ne connaissais pas (et dont j'ai oublié le nom) m'a envoyé un projet d'album en me demandant mon avis. En général j'évite, mais là j'ai lu, et j'ai bondi. Oh, c'était très beau, et joliment écrit. Il y avait juste un petit problème : c'était l'histoire d'un poisson des mers du sud que l'on arrachait à sa liberté pour le placer dans un aquarium avec le même décor maritime. Donc tout allait bien, semblait dire cet album. Eh bien non, pour moi, ça n'allait pas du tout. On n'a pas le droit de faire croire aux enfants qu'une prison dorée c'est aussi beau que la liberté. En tout cas c'est ce que je pense.
J'espère que notre pays saura faire preuve de fraternité, comme hier dans ces rassemblements spontanés où nous brandissions un crayon en guide d'arme. Les crayons sons bien nos armes, des armes de paix.